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Cargo à voile : Grain de Sail II à l’épreuve de sa première transat

Dessiné pour n’être propulsé qu’à la voile, Grain de Sail II porte jusqu’à 1 500 m2 au portant, dont 550 m2 pour son code zéro, la plus grande voile d’avant. (© Grain de Sail)

 

 

  • Le cargo à voiles termine sa première traversée transatlantique

 

  • La journaliste Patricia Bachelier était à bord pour le retour de New-York à Saint-Malo

 

  • Conditions de navigation, capacité d’embarquement,  rôle de l’équipage: elle partage ses impressions pour MAPINFO

 

 

Le cargo à voiles Grain de Sail II a bouclé une première transatlantique (Saint-Malo/New-York/Saint-Malo) aux allures de test grandeur nature. L’occasion de se plonger dans la vie quotidienne de l’équipage, avec la journaliste Patricia Bachelier, qui a effectué le voyage retour. Pour MAPInfo, elle revient en détail sur les enjeux de ce transport décarboné, ses limites et ses perspectives.

Une traversée qui a valeur de test

Premier grand cargo à voile du monde, Grain de Sail II  fait son retour à Saint-Malo ce dimanche 5 mai, réalisant sa toute première boucle transatlantique. Il avait quitté la cité corsaire le 15 mars pour rallier New York. A l’aller dans ses cales, des tablettes, vins et cafés signés Grain de Sail, ainsi que des spiritueux, parfums et produits manufacturés de clients chargeurs.

Arrivé le 7 avril de l’autre côté de l’Atlantique Nord, le navire est reparti le 15, avec moi comme passagère à son bord. Immense privilège. Les cales étaient moins pleines qu’à l’aller, car les flux de marchandises sont moindres dans le sens Amérique – Europe et la mentalité américaine n’est pas celle des Français en matière d’écologie. Il faudra plus de temps là-bas pour convaincre de l’intérêt du transport décarboné ! L’enjeu n’en est pas moins essentiel pour assurer la pérennité de cette activité de commissaire de transport, née au printemps 2023. Elle était l’objectif des frères Barreau à la création de Grain de Sail en 2010. Trois sisterships du navire sont en projet pour former une flotte.

« Cette première boucle transatlantique a valeur de test pour le bateau, me confiait Jacques, l’un des frères, présent à l’arrivée à New-York. Il en faudra au moins deux ou trois pour qu’il soit mené à son optimum de fonctionnement. »

Sorti fin septembre du chantier Piriou au Vietnam, ce cargo prototype de 52 mètres a navigué seulement quelques jours à la voile au large de Saint-Malo avant de mettre le cap vers New York. Trop peu pour être fiabilisé à 100 % et utilisé à son plein potentiel par son équipage et ses routeurs météo.

Les palettes de marchandises sont tenues entre elles par des coussins gonflables. La cargaison est contrôlée toutes les 4 heures, à chaque quart. (© Patricia Bachelier)

La navigation à voile nécessite des réglages permanents de la part de l’équipage. Ici une prise de ris pour diminuer la surface de la voilure. Une manœuvre exigeante. (© Patricia Bachelier)

« C’est ce qui m’a vraiment intéressé dans le projet Grain de Sail : défricher une nouvelle voie de transport plus vertueuse pour la planète »

Corentin Gachet, second capitaine de Grain de Sail II

Des pointes à 15-16 noeuds 

Car c’est bien le propre du transport à la voile tel qu’envisagé par Grain de Sail. La propulsion vélique est la seule qui vaille à bord. « Le moteur est allumé seulement pour les manœuvres au port et dans des situations d’urgence », précise Yann Jourdan, le capitaine. 

En cas de pétole (NDLR: absence de vent), ce que nous avons eu pendant 48 heures, les marins prennent leur mal en patience. Avec une acceptation non feinte, car tous sont à bord pour faire de la voile et contribuer à l’essor du transport décarboné. « C’est ce qui m’a vraiment intéressé dans le projet Grain de Sail : défricher une nouvelle voie de transport plus vertueuse pour la planète », confirme Corentin Gachet, le second capitaine.

Âgés de 31 à 49 ans, ces huit marins ont des profils complémentaires et variés. Ils ont navigué sur des bateaux de croisière, de transport de passagers, sur des cargos, des navires de travail et de pêche, des voiliers traditionnels classiques ou de course. Mais tous ont une conscience écologique XXL qui les a amenés à Grain de Sail II.

Pendant la traversée, l’équipage a mouillé le maillot pour optimiser les réglages, corriger les défauts de jeunesse d’un bateau déjà performant. Parfois volage au portant, capable de tenir une moyenne de 12 nœuds sur 24 heures et de réaliser des pointes à 15-16. Il y aura encore du travail pour les différents prestataires à l’arrivée, notamment sur les voiles. Mais les ajustements demandés devraient aussi servir la conception du prochain navire, imminente.

21 jours de traversée

Grain de Sail II a traversé l’Atlantique Nord en 21 jours à l’aller et autant au retour. En l’occurrence, nous avons « perdu » trois journées en nous déroutant vers les Açores afin d’évacuer un marin pour une pathologie médicale.

Près de trois semaines, c’est bien davantage que les porte-conteneurs les plus rapides, qui en promettent huit sur un trajet équivalent, tirant tout droit à vitesse constante ou presque. Avec peu d’aléa sur l’ETA (NDLR: estimation du temps d’arrivée), alors qu’elle est annoncée à 18 jours plus ou moins 4 à la voile. Logique…

À son crédit, Grain de Sail II assure un temps très court de chargement et déchargement : 2 journées maximum, de quai à quai. Grâce à sa cargaison en palettes, à ses deux grues à bord manipulées par les marins eux-mêmes et à son accès à des ports secondaires. La goélette s’affranchit ainsi des files d’attente longues de plusieurs jours parfois devant les terminaux à containers. Atout non négligeable. Sa configuration de chargement assure par ailleurs une sécurité optimum qui a convaincu des grands noms du luxe, tels que les parfums Christian Dior, présents dans les cales sur la transat aller.

Un peu plus lent, le transport à la voile est aussi plus cher qu’en cargo à moteur. « Le rapport peut aller d’un à dix en fonction du cours des containers, qui dépend notamment du pétrole », reconnait Jacques Barreau. Avantage néanmoins, l’armateur garantit des prix stables sur la durée. Un argument de poids lorsque l’on se souvient des sommets atteints par les « boîtes » lors de la crise du Covid.

La nature reprend ses droits

Nul doute que le tarif, le temps de traversée et son aléa sont des freins rédhibitoires pour certains chargeurs. Pour autant, le transport à la voile tel qu’imaginé par Grain de Sail doit être encouragé. Coûte que coûte. Primo parce qu’il donne à réfléchir sur la marche du monde d’aujourd’hui, qui va sur la tête : l’hyper consommation de produits jetables arrivant le plus vite possible depuis l’autre bout de la planète. En se laissant porter par le vent, la nature reprend un peu ses droits, et c’est déjà ça.

Secondo, Grain de Sail II apporte une réponse à l’objectif ambitieux de l’Organisation maritime internationale : zéro émission de carbone pour le transport en mer d’ici 2050. Car cette goélette pionnière décarbone aussi l’électricité nécessaire à ses besoins propres. Un peu grâce à l’énergie solaire (32 m2 de panneaux), mais surtout grâce à l’hydrogénération (une hélice tourne dans l’eau), qui alimente un parc de batteries au lithium.

Grâce à deux grues disposées sur le pont et manipulées par les marins eux-mêmes et les dockers, ici à Saint-Malo, Grain de Sail II assure un chargement et (dé)chargement rapide : 2 jours maximum au total. Le bateau est doté d’un hydrogénérateur qui alimente des batteries au lithium (au centre) : une énergie propre fournie par une hélice tournant dans l’eau avec la vitesse du bateau.(©Patricia Bachelier)

Un deuxième hydrogénérateur à venir

Ces deux énergies propres doivent se substituer aux deux groupes électrogènes qui marchent au gasoil. Comme le moteur, ils sont allumés en extrême nécessité. Grain de Sail II aura vraiment les moyens de ses ambitions à sa deuxième boucle transatlantique, une fois équipé de son deuxième hydrogénérateur, comme prévu à l‘origine. 

« Ils ont une puissance de 15 Kw chacun et leur efficacité est exponentielle avec la vitesse du bateau, affirme Stéphane Michel, le chef mécanicien. A eux deux, ils couvriront les besoins de notre consommation qui s’élève de 10-12 Kw en instantané. »

En naviguant sous voile, en mode zéro émission et bien chargé, Grain de Sail II sera alors très performant sur le plan écologique, et en ligne avec l’objectif annoncé : 90 à 95 % d’émission carbone en moins qu’un porte-container. Pour la plus grande fierté de ses marins, qui ont plaisir à naviguer ensemble en donnant le meilleur d’eux-mêmes et du bateau. « Selon nos estimations, le gain est de 65 % sur cette première boucle test », se félicite de son côté Jacques Barreau. Le meilleur est donc à venir!

Patricia BACHELIER, à bord de Grain de Sail II

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