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Bilan carbone : le nécessaire casse-tête des entreprises
- Les entreprises de plus de 500 salariés ont l’obligation d’effectuer un bilan carbone
- 10 kilogrammes de CO2 équivalent à 40 kilomètres en voiture
- Il faudrait contenir nos émissions de CO2 à 10 kg par jour et par personne
Depuis 2014, les entreprises de plus de 500 salariés ont l’obligation d’effectuer un bilan carbone. Certaines sociétés, plus petites, choisissent de le faire de leur plein gré, soucieuses de l’urgence du changement climatique. Après le constat, place à l’action. Delphine Rault, dirigeante de Grand Ouest Etiquettes, s’est livrée à MAPInfo. Entre viabilité économique et réduction des gaz à effet de serre, elle pilote son entreprise au mieux, en essayant d’échapper à « l’éco-anxiété ». Rencontre.
“En tant que dirigeant, on a un pouvoir qui implique de grandes responsabilités. On a le devoir d’agir”. Delphine Rault est à la tête de Grand Ouest Etiquettes, un imprimeur spécialisé dans la fabrication d’étiquettes adhésives professionnelles sur mesure, basé à Lamballe (Côtes d’Armor). L’activité est répartie sur trois sites et l’entreprise emploie 200 salariés.
Pour “pérenniser la démarche de performance globale”, initiée par son père, elle ne pouvait pas passer à côté de l’empreinte carbone de sa société. Même si cela implique de revoir toute la production. La dirigeante avance donc à tâtons. Elle essaie de trouver des opportunités et expérimente des solutions pour décarboner son entreprise. “Ce n’est pas un long fleuve tranquille, mais on est obligé d’être optimiste”, confie-t-elle, déterminée.
De l’optimisme il en faut, car le challenge est de taille. Pour pouvoir atteindre l’objectif de l’Accord de Paris, celui de maintenir la température en dessous de 2°C et de poursuivre les efforts pour ne pas dépasser 1,5 °C, par rapport à la moyenne préindustrielle, les entreprises doivent viser la neutralité carbone en 2050. Delphine Rault a donc choisi “d’agir plutôt que de subir”, en effectuant un premier bilan carbone en 2009, plus un second en 2021. L’objectif ? Calculer les émissions de gaz à effet de serre de l’entreprise, pour mettre en place des leviers d’action.
Le calcul très complexe du bilan carbone
Ce calcul est loin d’être simple. “Il faut prendre en compte l’ensemble de la chaîne de production, en amont et en aval”, explique la dirigeante. Cette dernière a fait appel au cabinet comptable Baker Tilly et à sa filiale RSE Goodwill management, pour réaliser le sien. En Bretagne, il existe plusieurs cabinets spécialisés dans la démarche, qui suivent la méthode de calcul de l’ADEME. Karbon Ethic, basé à Ploufragan, est l’un d’entre eux. « Le processus est toujours la même », explique son fondateur Régis Janvier, ingénieur en agriculture de formation. “On commence par faire une cartographie des flux, avec l’entrée et la sortie des matières, de l’énergie, des déplacements du personnel. On collecte ces données, on les calcule. En amont, on forme les équipes aux enjeux climatiques. Puis, on met en œuvre un plan de transition”, détaille le scientifique. Selon lui, il n’est pas judicieux de comparer les secteurs, car “un chauffeur de taxi et un coiffeur n’auront pas la même empreinte carbone”, ironise-t-il.
Les émissions de CO2 : une notion très abstraite
Celle de Grand Ouest Etiquettes est évaluée à 6500 tonnes équivalent carbone par an. Mais une tonne de CO2, qu’est ce que ça représente ? La notion est assez abstraite. Pour pouvoir la représenter, “on peut comparer 10 kilogrammes de CO2 (ce qu’il faudrait produire par jour et par personne, pour rentrer dans les objectif de l’accord de Paris) à 40 kilomètres parcourus avec une voiture diesel ou à une entrecôte de 300 grammes”, illustre Régis Janvier. “La première question à se poser, c’est “si l’activité est toujours viable dans un monde bas carbone”, poursuit l’expert. Ensuite, il faut planifier les réductions. « Le plus important ce n’est pas le chiffre, mais les actions qui vont êtres mises en place”, martèle Régis Janvier.
« En tant que dirigeant, on a un pouvoir qui implique de grandes responsabilités.”
Delphine Rault, dirigeante de Grand Ouest Etiquettes
Des leviers de décarbonation à l’oeuvre
Des actions, Grand Ouest Etiquettes en a amorcé plusieurs dans une démarche de sobriété, après cette mesure d’impact. À commencer par les petits gestes en remplaçant toutes les ampoules par des leds. Mieux, la PME costarmoricaine tente de réduire au maximum le gaspillage des matières. “Avec les étiquettes, 50 % de ce que l’on vend à notre client est un déchet puisque la glassine (le papier jaune utilisé derrière les autocollants) part directement à la poubelle”, regrette la cheffe d’entreprise. “Nous avons donc expérimenté une solution sans bande support, le linerless, pour ne plus avoir ce déchet”. Ce nouveau fonctionnement satisfait de nombreux clients. Pour les autres, “on récupère la glassine pour la transformer en panneau d’isolation”.
La société a par ailleurs réduit la fréquence de ses livraisons et a optimisé la durée de vie des machines en agissant sur les maintenances. « On les reconditionnent pour qu’elles soient moins émettrices d’énergie », précise-t-elle. Pour embarquer son équipe, Delphine Rault encourage les collaborateurs à jouer le jeu. « Cela passe par l’éco-conduite par exemple ». La cheffe d’entreprise tente surtout de montrer l’exemple. « Les dirigeants ont une nécessité d’exemplarité, sinon ils ne sont pas crédibles », ajoute Régis Janvier, de Karbon Ethic. « On se donne les moyens de faire des choses. Ce n’est pas parfait car on doit faire face à des aléas et à d’autres priorités », reconnait encore Delphine Rault.
Conjuguer la viabilité économique et l’urgence écologique
L’enjeu est structurel. “On ne le fera pas seul, tout est lié à nos clients et à nos fournisseurs”. Pas question non plus de baisser les volumes, au péril des emplois et de la viabilité économique de l’entreprise, “même si c’est ce qu’il faudrait sans doute faire”, admet la dirigeante qui souligne que dans ce contexte, « il faut avoir les nerfs solides ».
Ce qui angoisse Delphine Rault, c’est aussi le sentiment d’urgence, alors que les transitions prennent du temps. “On finit par développer une forme d’éco-anxiété”, avoue-t-elle, en évoquant le célèbre slogan « fin du monde, fin du mois », qui résume à lui seul tout l’enjeu. La dirigeante qui considère “faire sa part avec utilité et sincérité”, envisage, à terme, de piloter les émissions de CO2 de son entreprise comme elle pilote son résultat d’exploitation.
Un outil, pas une fin en soi
Hasard du calendrier, cet échange très direct a eu lieu quelques jours avant la réunion organisée à Rennes par Carbone 4, la société cofondée il y a quinze ans par Jean-Marc Jancovici pour accompagner la transformation des organisations vers la décarbonation et l’adaptation au changement climatique. Ce dernier était présent le 28 novembre avec ses équipes locales, pour fêter le premier anniversaire de leur antenne Grand ouest. Et si les propos des intervenants étaient ce jour-là principalement axés sur le numérique, le constat faisait écho à celui exprimé par Delphine Rault: les bilans carbone sont un outil, pas une fin en soi.
Autre conviction, qui contraste avec le technosolutionnisme à la mode: la fuite en avant technologique ne fait souvent qu’aggraver la situation climatique. Ainsi, « le numérique et la dématérialisation ont pu apparaitre comme une solution efficace, alors que c’est le catalyseur d’une économie à +4 degrés », rappelle Jean-Marc Jancovici. L‘heure était donc, là aussi, au pragmatisme, entre souci de bien faire et contraintes de marché, désir de mettre l’entreprise en mouvement et réticence des consommateurs principalement motivés par le prix. Une posture qui, au moins, ne peut être taxée de greenwashing!
Adèle CHARRIER, avec X.D.