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INTERVIEW - L’océan, un puits de carbone sous-évalué, qu’il faut protéger
- Une récente étude scientifique estime à 15 gigatonnes par an la capacité de piégeage biologique du carbone par les océans
- C’est le processus de photosynthèse du plancton qui réalise cette captation
- L’océan aurait une capacité de stockage supérieure de 20% aux dernières prévisions du GIEC
Le Brestois Frédéric Le Moigne fait partie de l’équipe internationale de scientifiques qui vient de publier une étude remarquée dans la revue Nature. Elle montre que les capacités biologiques de stockage de carbone dans les océans sont beaucoup plus importantes que prévu. La protection des mondes marins est plus que jamais essentielle.
Vous faites partie de l’équipe internationale de 7 scientifiques qui vient de publier un article dans la célèbre revue Nature, qui a eu un retentissement international. Sur quoi portent vos travaux ?
Frédéric LE MOIGNE – Effectivement, en tant que chercheur CNRS au sein du laboratoire LEMAR, à Plouzané près de Brest, je m’intéresse à la biogéochimie marine et au piégeage biologique du carbone dans les océans. Notre équipe constituée de chercheurs chinois, américains et français, a mis au point un modèle numérique de l’océan pour simuler cette capacité de piégeage. Moi, je suis un scientifique qui réalise des mesures de plancton à bord des navires océanographiques, comme le Pourquoi-Pas ?. Je connais bien les données collectées par un bateau, ce qui permet de déterminer les flux de plancton.
Au cœur de votre publication scientifique, on trouve la notion de « neige marine ». De quoi s’agit-il ?
Il s’agit de plancton mort. On sait depuis longtemps que le plancton réalise la photosynthèse, comme une plante terrestre, à une profondeur comprise entre 0 et 100 mètres, là où la lumière sous-marine lui permet de transformer le carbone en tissus organiques au cours de son développement. Le plancton mort se transforme ensuite en flocons de « neige marine », de 50 microns à quelques millimètres. Plus dense que l’eau de mer, cette matière coule dans les fonds marins en stockant du carbone, et elle constitue également une ressource de nutriments essentiels pour de nombreuses créatures des profondeurs, depuis les minuscules bactéries jusqu’aux poissons de grands fonds. C’est cette « neige marine » qui tapisse le fonds des océans que nous avons cherché à évaluer.
De quelles profondeurs s’agit-il ?
Nous sommes à plusieurs centaines de mètres, et même à – 3.800 mètres en moyenne. À ces profondeurs, il est très difficile, voire impossible dans l’état actuel des technologies, de réaliser des mesures physiques. Nous avons donc mesuré la concentration en carbone du plancton collectée à partir de navires, pour ensuite, à l’aide du simulateur, estimer les flux à l’échelle océanique.
« Notre étude confirme l’importance de protéger les océans, et nous sommes tous concernés par ce défi mondial. »
Frédéric Le Moigne, chercheur CNRS
Quel est le principal enseignement de ces travaux ?
Cette extrapolation à grande échelle a permis de prouver que l’océan a une capacité biologique de stockage du dioxyde de carbone atmosphérique de près de 20% supérieure aux estimations. En se basant sur l’étude d’une banque de données collectées sur l’ensemble du globe depuis les années 1970 à l’aide de navires océanographiques, notre équipe pluridisciplinaire et internationale a pu estimer numériquement et donc cartographier les flux de matière organique de l’ensemble des océans. La nouvelle estimation de capacité de stockage qui en résulte s’élève à 15 gigatonnes par an, soit une augmentation d’environ 20% par rapport aux précédentes études (11 gigatonnes par an) rapportées par le GIEC dans son rapport de 2021.
C’est une bonne nouvelle, à l’heure de la COP28 ?
Oui, mais il ne faut pas se réjouir trop vite ! Ce processus d’absorption s’opère sur des dizaines de milliers d’années, et il n’est donc pas suffisant pour contrebalancer l’augmentation exponentielle d’émissions de CO2 engendrée par l’activité industrielle mondiale depuis 1750. Notre étude renforce néanmoins l’importance de l’écosystème océanique en tant qu’acteur majeur dans la régulation du climat planétaire à long terme.
Quelle sera la prochaine étape de vos recherches scientifiques ?
Nous souhaitons poursuivre la connaissance de ces milieux en océan profond, encore largement inaccessibles. Il y a dix ans, je n’aurai pas imaginé que nous pourrions réaliser cette estimation à l’échelle planétaire. Les dix prochaines années nous réserveront sans doute des surprises du même ordre ! Notre étude confirme en tout cas l’importance de protéger les océans, et nous sommes tous concernés par ce défi mondial.
Propos recueillis par Xavier DEBONTRIDE