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Économie bleue, la mer a de la ressource
Granulés « Nylo » (Crédits photo: Fil&Fab)
Le One Ocean Summit s’installe à Brest du 9 au 11 février. Ce sommet vise à accélérer l’agenda international pour la protection des océans et réfléchir aux innovations et nouvelles économies maritimes. Des entreprises bretonnes se lancent dans l’économie circulaire de la mer. Tour d’horizon.
Parler d’économie bleue, c’est parler de toute l’activité liée à la mer. Nous n’allons pas ici en faire l’inventaire, tant de secteurs sont concernés. Mais depuis plusieurs années se développe une économie circulaire de la mer. Se pose alors la question des déchets ou des ressources utilisées dans cette économie. « Le terme déchet, je ne l’utilise pas beaucoup. Si on parle des ressources maritimes biologique, ces ressources peuvent être utilisée à plus de 90%, ce sont des co-produits. Cela n’a rien à voir avec les matériaux utilisées pour les activités maritimes qui peuvent être recyclées ou les déchets que sont les plastiques et autres pollutions », explique Patrick Poupon, directeur du Pole Mer Bretagne Atlantique. Plusieurs entreprises bretonnes utilisent et transforment des co-produits pour leur donner une autre application, c’est le cas notamment de l’usine de Kervellerin avec les huîtres du Morbihan. Quand d’autres, tels que Fil&Fab recyclent les matériaux utilisés pour les activités maritimes.
Des milliers d’huîtres récoltées, transformées en poudre
En 2005, Martine Le Lu, dirigeante de l’usine familiale Kervellerin, ,se sentait bien seule quand lui est venue l’idée de collecter les huîtres vouées à être jetées par les ostréiculteurs pour les transformer. « Notre idée était d’associer plusieurs mondes, et milieux : des gens de la mer, des entreprises, universités, collectivités, associations », précise Martine Le Lu. « Faire ensemble, chacun ayant un bout de la solution », aime-t-elle à préciser. Aujourd’hui de ces milliers d’huîtres est fabriquée une fine poudre baptisée Ostrécal, née en 2006 et utilisée ensuite dans la fabrication de cosmétiques, de lunettes, de peinture pour les routes, de plastiques biodégradables et d’objets de décoration…
Des milliers d’huîtres provenant des ostréiculteurs morbihannais sont récoltées chaque année
Pour cela, il a fallu faire de la recherche & développement en lien avec l’université de Bretagne Sud, concevoir une machine, trouver des partenaires pour une application dans un produit fini. A l’usine on nettoie, trie, broie, et concasse les résidus de coquille avec des procédés 100% naturels, avant qu’ils ne deviennent cette poudre fine et blanche. « Le volume de co-produits récupéré varie d’une année sur l’autre. Les ostréiculteurs délaissent ces huîtres parce qu’elles sont mortes ou victimes de prédateurs naturels. Parfois, et c’est tant mieux pour eux, il y en a moins », explique la dirigeante de cette TPE de 9 salariés située à Cléguer dans le Morbihan.
« C’est à moi d’adapter la production, ça fait partie de l’état d’esprit de l’économie circulaire »
L’usine de Kervellerin n’a pas fini d’explorer les innovations technologiques liées à la ressource coquillée. « Il y a encore des choses à faire, en s’associant, en mutualisant sur le territoire. Il faut que l’économie bleue serve au local. »
Du filet de pêche à la paire de lunettes
Yann Louboutin, Théo Desprez et Thibault Uguen, ont le projet étudiant de créer un produit design 100% recyclé, 100% fait localement. De fil en aiguille, les 3 amis choisissent le filet de pêche, matériau intéressant et qui existe en grande quantité en Bretagne, la moitié des filets usagés en France se trouve sur le territoire breton. « De ce projet est née une association, puis une entreprise en 2019. Avec un changement de cap, nous avons décidé de nous intéresser à la matière première et non plus au produit », précise Yann, le responsable communication de la start-up Fil&Fab.
Entre 600 et 800 tonnes de filets de pêche par an pourraient être recyclées chaque année. (Crédit photo: Fil&Fab)
Commence alors un long chemin pour mettre en place les techniques de recyclage des filets. L’entreprise investit dans une broyeuse pour les réduire en petits fils de quelques centimètres de long et de quelques millimètres de large, mais n’a pas les moyens d’avoir, en son nom, l’extrudeuse qui permet de réduire en granulés de polyamide les quelques 60 tonnes récoltées en 2021. « Ce sont ces granulés qui sont utilisés dans l’industrie plastique. Avec « Nylo », nous proposons un matériau 100% recyclé qui peut être utilisé partout, des montures de lunettes jusqu’à des pièces techniques dans le bâtiment », explique Yann. La récupération des filets au niveau national est en train de s’organiser.
« C’est re-recyclable mais pas à l’infini, le produit à un moment s’abîme »
Idée de génie ? Peut-être, mais le chemin est encore long pour convaincre. Ce matériau nouveau doit montrer aux professionnels que sa performance, sa stabilité est équivalente aux polyamides non recyclés. « Nos clients attestent aujourd’hui de sa qualité mais certaines marques sont encore frileuses. Notre produit a en plus un impact carbone mais que nous n’arrivons pas encore à précisément évaluer », constate le co-fondateur. Mais l’ambition est là, devenir la filière française de revalorisation des filets de pêche. Avec un argument de taille que la start-up veut faire valoir auprès de ses futurs clients : les législations sur le recyclage imposeront aux consommateurs de plastique d’utiliser une part croissante de matériaux recyclés.
Une fois récupérés, les filets sont broyés, puis l’extrudeuse permet de les transformer en granules « Nylo », utilisées par exemple pour des montures de lunette. (Crédits photos: Fil&Fab et Armor Lux)
Conjuguer rentable et durable
La Bretagne est évidemment, avec sa façade maritime, le territoire idéal pour développer ce circuit-court de la mer. Chez Mytilimer, à Cancale, a été imaginé un procédé pour transformer les moules trop petites à la vente en arômes et ingrédients pour l’alimentation humaine ou encore faire une poudre de ses coquilles pour le BTP et autres utilisations. « C’est allier l’économie aux défis environnementaux. Il faut que ces activités soient rentables pour être durables », souligne Patrick Poupon du Pole Mer Bretagne Atlantique, qui insiste sur les innovations à venir. « Nous avons un pôle de recherche important en Bretagne. A nos chercheurs et entreprises de travailler ensemble pour inventer les débouchés de demain ». Et d’imaginer, par exemple, des peintures antifouling pour les coques de bateaux qui utiliseraient les propriétés des algues…De nouvelles économies bleues en perspective.