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INTERVIEW - "Sans la biodiversité, l'être humain ne se nourrit pas, ne se soigne pas"
- La Tournée du Climat et de la biodiversité se tient à Brest jusqu’au 28 Novembre
- L’exposition porte sur le changement climatique et l’érosion de la biodiversité
- Une trentaine de chercheurs seront présents, dont Guillaume Lecointre, spécialiste de l’évolution du vivant.
À l’occasion de la Tournée du Climat et de la Biodiversité, qui fait étape à Brest, du 26 au 28 novembre, Guillaume Lecointre, professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle et spécialiste de l’évolution du vivant, s’est livré sur l’importance de la biodiversité et des actions pour la préserver. Il sera présent avec d’autres chercheurs sur l’exposition itinérante et renseignera les visiteurs sur les effets du changement climatique et ses impacts sur la biodiversité.
La notion de biodiversité est souvent citée, mais qu’est-ce que ce terme signifie au juste ?
Guillaume LECOINTRE – La biodiversité c’est la contraction de biologique et de diversité. On parle de biodiversité pour désigner ce qui compose le vivant selon trois niveaux. Le premier est le nombre d’espèces présentes dans un endroit donné. Le second est la diversité d’individus au sein d’une espèce. Enfin, le troisième niveau évoque la combinaison d’espèces dans les paysages. Pour dix kilomètres carrés, une prairie aura moins de concentration de biodiversité que la même superficie avec un étang en plus, par exemple.
À noter qu’il ne faut pas confondre la biodiversité avec l’écosystème. Ce terme désigne les relations entre espèces.
En quoi la biodiversité est-elle essentielle ?
Elle est essentielle pour l’humain et pour elle-même. Dans son histoire, l’humain ne s’est jamais déployé en dehors de la biodiversité. Sans la biodiversité, l’être humain ne se nourrit pas, ne se soigne pas. Il faut savoir que l’on connaît l’existence de la plupart des molécules médicamenteuses grâce à l’exploration de la biodiversité. L’aspirine, par exemple, puise son origine dans les feuilles de saule blanc et de peuplier. Mais la biodiversité fait aussi partie de nos symboles (sur nos drapeaux, sur les logos des marques). Et puis, elle nous habite et nous protège. Sur l’ensemble du corps, l’être humain porte près de 750 espèces de cellules qui n’appartiennent pas à notre espèce, l’homo-sapiens (le microbiote). Ces bactéries servent à nous protéger.
La biodiversité est aussi importante pour elle-même, car les êtres vivants entretiennent des relations d’interdépendances. Si on appauvrit la biodiversité, on fragilise ce réseau.
« Avec le changement climatique, on observe des modifications des aires de répartition des espèces »
Guillaume Lecointre, spécialiste de l’évolution du vivant
On évoque souvent la notion de dégradation ou de déclin de la biodiversité. En Bretagne, quelles en sont les illustrations ?
On assiste au déclin de la biodiversité. Il n’y a pas souvent de disparition d’espèces mais ce que l’on détecte sur un temps court, sur plusieurs décennies, c’est une baisse démographique de certaines espèces. En Bretagne, la population des macareux moine – qui sont des oiseaux marins – n’a cessé de diminuer ces cinquante dernières années. On observe aussi une modification de leurs aires de répartition. Ils vont nicher de plus au nord et ils ont quasiment quitté la Bretagne. Ça, c’est quelque chose de récent. Quand j’étais petit, je voyais des macareux en baie d’Audierne, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui.
À t-on remarqué l’arrivée de nouvelles espèces en Bretagne, des migrations liées au changement climatique notamment ?
Oui, on pêche aujourd’hui et depuis une trentaine d’années, dans le nord Bretagne et à l’entrée de la Manche, de plus en plus de poissons-lunes et de balistes. Normalement, ce sont des poissons qui vivent dans les eaux tropicales et qui n’ont rien à faire à ces latitudes. Leur aire de répartition s’arrêtait normalement au niveau des Açores.
Certaines espèces invasives ont aussi été importées. C’est le cas du ver plat. Ce dernier est probablement arrivé dans des pots de fleurs, par bateau, en provenance de Nouvelle-Zélande. Or, les vers plats sont des prédateurs de vers de terre. Or si vous diminuez la population de vers de terre, vous diminuez la fertilité des sols.
On dit souvent que « la nature peut reprendre ses droits ». Dans quelle mesure ? Quelles solutions ou actions sont déjà mises en place ou prévues pour préserver la biodiversité en Bretagne ?
Ce qu’il faut retenir, c’est que la principale cause d’érosion de la biodiversité est liée la fragmentation des habitats* (artificialisation des terres, constructions de routes, de voies ferrées, des bâtiments, de clôtures…). Pour permettre aux espèces de se déplacer et de passer d’une zone à l’autre, une solution consiste à construire des ponts, mais aussi des corridors de biodiversité. Il y en a des plus en plus. Les êtres vivants ne peuvent pas se maintenir longtemps enfermés dans une boîte.
Outre ces aménagements, certains sites protégés dont l’accès est limité servent de refuge de biodiversité. En Bretagne, on compte notamment l’aire marine protégée de la Mer d’Iroise, au large du Finistère. C’est ici que nos équipes font des surveillances de présence de cétacés. On recense aussi la Baie d’Audierne, le Golfe du Morbihan, le Parc de Brière. À retrouver sur la carte « Panorama de la Biodiversité et des espèces protégées » de l’OFB (Office Français de la Biodiversité).
À l’échelle citoyenne, on peut agir sur trois leviers : notre consommation, nos votes et notre engagement associatif. Au niveau de la consommation, on peut déjà limiter l’usage des plastiques. Les plastiques terminent dans la nature sous forme de microplastiques et altérent la biodiversité. Il faut aussi favoriser les matériaux recyclables, acheter local, mais aussi préférer l’agroécologie. Toutefois, les leviers d’actions doivent aussi être aussi politiques et économiques.
Qu’attendez-vous de cette Tournée du Climat et de la Biodiversité ?
L’objectif de l’exposition itinérante est de faire comprendre au public le lien étroit entre le climat et la biodiversité car l’un ne fonctionne pas sans l’autre. Cette exposition est destinée au grand public. Personnellement, je suis persuadé qu’il n’y a pas de solution pérenne qui puisse s’envisager sans passer par la dimension sociale. Pour donner de l’ampleur au message, l’année prochaine, nous souhaitons aller dans des villes de taille moyenne, qui n’ont pas de dispositif culturel.
Propos recueillis par Adèle CHARRIER
La Tournée du Climat et de la Biodiversité se tient à Brest jusqu’au mardi 28 novembre, à l’Atelier des Capucins, 25 rue de Pontaniou. Des scientifiques venus de toute la France guideront les visiteurs et répondront à leurs questions (visite guide par un scientifique, ouvert au grand public à partir du CM1, entrée gratuite, libre d’accès, durée : 1h).