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Transmettre son capital à une fondation actionnaire, le pari de Sillages

Avec cinq autres entreprises de conseil, la société rennaise Sillages vient de transférer la totalité de son capital à un fonds de dotation d’intérêt général. Objectif : s’inscrire dans la durée et préserver leurs valeurs en évitant la pression des actionnaires. Explications.

C’est une initiative originale à plus d’un titre que viennent de prendre les 14 associés de six sociétés de conseil engagées, dont la société rennaise Sillages, en décidant de transférer l’intégralité de leurs parts à une fondation actionnaire, Fly. Ensemble, Fly the Nest, Sillages, Leader Journey, l’Atelier, Avolaré et Dynamique Collective, emploient 23 collaborateurs et réalisent un chiffre d’affaires cumulé de 2,5 millions d’euros. Ces entrepreneurs qui accompagnent depuis plusieurs années déjà près de 300 start-up dans leur changement d’échelle ou la structuration de leur gouvernance. Appartenant à un écosystème commun, ils n’avaient pas jusqu’ici de liens financiers entre eux, même si certaines entités, comme Sillages, ont été fondées par des anciens de Fly the Nest. « Nous sommes des entreprises sœurs qui partageons une philosophie commune, explique Eugénie Biraben, cofondatrice de Sillages et membre donatrice de la fondation actionnaire Fly. Ce qui nous rapproche, c’est notre modèle d’auto-gouvernance, avec un processus de prise de décision différent ».

Entreprise libérée et holacratie

Ainsi par exemple, dans ce fonctionnement proche de l’holacratie ou de l’entreprise libérée, les décisions sont prises à l’issue de sollicitations d’avis auprès des salariés ou des parties prenantes, la hiérarchie disparait au profit d’une spécialisation des collaborateurs en fonction de leurs appétences respectives…

Depuis 2018, les cofondateurs de Fly the Nest réfléchissaient à une organisation encore plus radicale pour être en accord avec leurs convictions. « Nous avons grandi assez vite, et nous avons cherché à rester en cohérence avec nos valeurs, y compris sous l’angle capitalistique et de l’actionnariat. Nous souhaitions réunir le meilleur du modèle associatif et du modèle entrepreneurial », se souvient Erwann Rozier, cofondateur de Fly the Nest. Sollicité, son avocat explore différentes pistes avant de repérer le modèle du fonds de dotation actionnaire. Un peu à la manière du géant américain Patagonia, qui a annoncé en septembre dernier que l’intégralité du capital de l’entreprise de vêtements d’extérieur était « transmise à la Terre » via une fondation.

Désormais, le capital des six sociétés est intégralement détenu par Fly, un fonds de dotation actionnaire, personne morale d’intérêt général. Cette fondation a une mission philanthropique revendiquée, puisque les six sociétés qu’elle contrôle s’engagent à lui verser chaque année 1% de leur chiffre d’affaires, afin de soutenir des causes d’intérêt général. Les premières associations caritatives bénéficiaires seront sélectionnées début 2023. « Nous voulons ainsi montrer que d’autres chemins sont possibles, mais cela nécessite du temps et de l’argent, ce n’est pas le choix de la facilité ! », reconnait Eugénie Biraben, de Sillages.

« Désormais, notre raison d’être est notre boss, notre ultime actionnaire ! »

Avec ce modèle original, les associés veulent s’inscrire dans un temps long, en écartant a priori la question de la sortie ou de la revente des sociétés. Organisme à but non lucratif indépendant et incessible, le fonds de dotation protège ainsi l’avenir des sociétés qu’il détient. Sa gouvernance incarne cet objectif, puisque le conseil d’administration qui le pilote est indépendant et représentatif des parties prenantes, avec des personnalités issues de clients ou de partenaires, des salariés, et trois associés donataires, dont la rennaise Anne Billiet, cofondatrice de Sillages.

Comme le résume bien Eugénie Biraben, « désormais, notre raison d’être – soutenir les projets d’utilité sociale et environnementale de nos territoires – est notre boss, notre ultime actionnaire ! ». Il sera sans doute nécessaire de suivre la pertinence de ce modèle singulier dans la durée. Peut-être fera-t-il des émules auprès d’autres structures attirées par un modèle différent, même si les fondateurs de la fondation Fly se défendent de tout prosélytisme !

Xavier Debontride

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