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Les sédiments d'un port breton valorisés en briques de terre crue ?
- Trois acteurs ont été selectionnés dans le cadre de l’appel à manifestation sur la valorisation des sédiments du port de Morlaix
- Ils vont tenter de créer des briques, carrelages et autres materiaux de construction à partir de ces boues
- Elles constituent un gisement intéressant car stockées à terre depuis 2010
Stockés à terre depuis 2010, les sédiments de dragage du port de Morlaix pourraient-ils devenir des briques pour construire des maisons dans le futur ? Une expérimentation est menée par trois acteurs bretons, qui ont un an pour concrétiser leurs recherches. Si les résultats sont concluants, ce projet-pilote pourrait devenir une véritable filière industrielle dans la construction bas carbone.
Comme valoriser les sédiments du port ?
Les sédiments de draguage du port de Morlaix pourraient-ils être valorisés en matériaux de construction ? C’est ce à quoi vont tenter de répondre trois porteurs de projet bretons : la start-up Gwilen basée à Brest, Labcom CoLoRe (laboratoire commun entre l’institut Bretagne sud et le laboratoire CBTB, filiale du groupe Pigeon) et l’association Le Repair, située à côté de Morlaix, à Pleyber-Christ.
Ils ont été retenus par Morlaix Communauté, dans le cadre d’un appel à manifestation sur la revalorisation de ces sédiments, construit en partenariat avec le Cerema, le Pôle Mer Bretagne Atlantique, l’IUT de Brest Morlaix et celui de Nantes Saint-Nazaire.
Dragage du port tous les 2 ans
Car depuis 2010, la collectivité stocke cette vase à terre, sur le site du Bois Noir, à 2 kilomètres du port. « Contrairement à 90 % des ports français qui rejettent ces sédiments en mer », informe Régis Soenen. Ce choix politique fort avait été décidé à l’époque, « pour protéger la baie et la filière conchylicole », d’après Marc Rousic, conseiller délégué à Morlaix Communauté en charge du projet.
« L’opération de dragage a lieu tous les 2 ans, de manière à garder le port navigable », poursuit l’élu. « Car il faut savoir que les sédiments remontent en moyenne de 50 centimètres en un an ». Une fois pompés, ils sont transportés via des tuyaux, puis déshydratés. Leur volume réduit ainsi de 30 %. « En moyenne, ce sont ainsi entre 8 000 et 10 0000 m3 de sédiments secs qui sont ainsi entreposés », indique Marc Rousic. Et cette manœuvre a un coût pour la collectivité : 800 000 euros tous les 2 ans.
Une option face à la raréfaction des ressources
Mais le site de stockage devrait arriver à saturation d’ici 4 ans. Pour trouver une solution, les élus se sont donc interrogés naturellement sur les possibles valorisations de cet amas de terre. « Nous allons expérimenter deux choses : la création de talus bocagers et la transformation de ces sédiments en matériaux de construction », informe l’élu.
Face à la raréfaction des ressources, comme le sable, cette deuxième option apparaît particulièrement intéressante pour la filière du BTP. « Aujourd’hui c’est un gisement qui est vu comme un déchet, mais il pourrait devenir une ressource, ce qui permettrait de limiter le prélèvement des ressources naturelles extraites des carrières. Et l’avantage, c’est que cette matière première est accessible et disponible, même si elle nécessite une transformation », reconnaît Régis Soenen. D’autant que si l’expérimentation va à son terme, cette nouvelle production permettrait de faire fonctionner l’économie locale, car « le transport des sédiments sur une longue distance n’est pas envisageable », explique Régis Soenen.
Briques en terre crue, faïence, carrelage..
Mais alors à quoi ces matériaux pourraient-ils ressembler ? Les trois porteurs de projets planchent sur le sujet. L’entreprise Gwilen s’intéresse à la possibilité de créer du carrelage, de la faïence ou des objets de décoration, tandis que les deux autres acteurs, Labcom CoLoRe et Le Repair, projettent plutôt de concevoir des briques en terre crue, une alternative au ciment.
« Nous allons effectuer différents tests, sous forme d’adobes avec un moule en bois et avec une presse mécanique, ce qui rend la brique plus dense. Nous allons aussi essayer d’ajouter des fibres, de blé, de chanvre, de copeaux de bois, pour lier le tout », rapporte Mathieu Cirou, co-fondateur de la recyclerie de matériaux Le Repair, heureux de participer à l’invention de « ce nouveau matériau performant, local, accessible, à bas coût ». « La brique en terre crue est intéressante de part ses grandes qualités environnementales ; peu émissive car elle n’est pas cuite et parce qu’elle est produite localement. Elle possède aussi des propriétés isolantes et régule l’hygrométrie ».
Avant d’espérer rendre un prototype, les membres de l’association Le Repair – comme les autres parties prenantes de l’expérimentation – devront passer par une batterie de tests : thermique, acoustique, de résistance aux intempéries, d’innocuité sanitaire, de traction, de flexion, de compression, etc.
« Aujourd’hui c’est un gisement qui est vu comme un déchet, mais il pourrait devenir une ressource »
Régis Soenen, directeur de l’agence de Saint-Brieuc du Céréma
Vers un processus industriel ?
Après plusieurs tests en laboratoire, ils devront présenter les résultats de leur recherche à Morlaix Communauté dans un an. Si l’expérience est concluante, pour la collectivité et ses partenaires, l’intérêt serait d’industrialiser cette production. « Il faudrait que ces pistes aboutissent à la création d’une filière industrielle dans la construction bas carbone », souligne Régis Soenen.
De son côté, l’association Le Repair estime qu’avec tout le gisement disponible, elle serait « capable de construire 30 000 m2 de murs par an ». Elle estime même qu’elle pourrait installer une briqueterie dédiée.
Adèle CHARRIER