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L'éconavigation : partager un voilier pour protéger la planète
- La plaisance se démocratise et se développe en France
Pour limiter son impact, la plaisance favorise l’économie d’usage
Copropriété, location, il existe différentes alternatives
Depuis la crise du Covid, les Français se tournent de plus en plus vers la plaisance. Pendant l’été 2023, l’utilisation de la plateforme de location Click&Boat a connu une progression de 35% . La navigation symbolise la liberté, le contact avec la nature. Mais sa pratique n’est pas sans effet sur l’environnement. Pour minimiser son impact, se développe le concept d’éconavigation. Focus sur l’économie d’usage dans la voile.
Le voilier : une copropriété comme une autre
« Je pense qu’un voilier peut être partagé pour en profiter ensemble ou successivement, parce que le nautisme a un impact important sur l’environnement malgré tout. Même si on avance avec le vent, il y a les antifouling, tous les dérivés du pétrole nécessaires à la fabrication. En partageant son bateau, cela permet de réduire les nuisances ». L’entretien à peine commencé, Anne Queffelou détaille les raisons pour lesquelles elle a toujours été copropriétaire de ses quatre voiliers. En effet, la voile n’est pas sans impact sur la planète. On peut noter la destruction des écosystème due à la construction, exploitation des ports ou mouillages. 34% de la perte des herbiers de posidonie en Méditerranée est en partie attribuable à la plaisance. Une autre cause est la pollution issue du rejet des eaux usées. En août 2023, la mairie du Fouesnant a pris un arrêté interdisant la baignade sur l’archipel des Glénans suite à une contamination par la bactérie Escherichia Coli. Mais Anne évoque aussi d’autres atouts. « Évidemment, être copropriétaire d’un bateau réduit les coûts. La plaisance, ça coûte cher ». Sur ce point, avec son copropriétaire, elle a instauré une règle financière simple : tout ce qui est nécessaire à la bonne tenue et à la sécurité du bateau est partagé. Quand il y a de la casse, c’est la personne à bord au moment de l’incident qui paie. Enfin, si l’un des deux souhaite améliorer le confort du bateau, c’est celui ou celle qui en ressent le besoin qui paie seul. « Si je souhaite m’acheter un gennaker, c’est moi qui paie ». [NDLR : Le gennaker est une voile d’avant intermédiaire entre le génois et le spinnaker].
La copropriété : que des avantages
Pour plus de simplicité, Anne préconise plutôt de limiter à deux ou trois propriétaires maximum. « Après, ça devient compliqué, notamment sur la gestion du planning ; qui navigue quand ? ». La copropriété permet aussi à des personnes qui résident loin des ports de profiter de leur passion, tel le partenaire d’Anne qui vit à Rouen. Il sait que son bateau sort régulièrement, car en plaisance, moins on s’en sert, plus ça s’use. Sur le plan administratif et juridique, les deux copropriétaires sont responsables des assurances et de l’enregistrement au port. « Être copropriétaire allège aussi la charge mentale », poursuit Anne. « On se concerte sur les décisions à prendre ; est-ce qu’on remplace le safran cette année ? ». Pour le bricolage et l’entretien du bateau, Anne ne voit pas vraiment de changement. « Dans les ports en général, et à Trébeurden (Côtes d’Armor) en particulier, il y a toujours de l’entraide entre marins, pour changer des pièces simples, comme un enrouleur, etc. Comme mon copropriétaire vit à 400 km, je fonctionne toujours de la même façon. Le vendredi soir, quand on boit un coup au club de Trébeurden, je demande de l’aide si nécessaire ». Et pour cette Bretonne passionnée de voile, la partie vraiment plaisante de la copropriété « c’est quand nous naviguons ensemble, sur notre bateau ».
Nicolas le Douarec qui navigue en bretagne sud DR
« Je préfère que d’autres personnes profitent de mon voilier que de le savoir scotché au port. C’est un petit pas pour limiter la production de bateau » Nicolas Le Douarec
Louer son voilier, une question de confiance
Nicolas Le Douarec préfère rester maître à bord, garder la main sur son bateau. Pour autant, il le propose volontiers à la location. « C’est très intéressant », affirme ce quinquagénaire qui vit à Rennes et dont le bateau est amarré au port de La Trinité. « Ça couvre une partie des frais d’entretien, l’assurance, la place au port ». Bastien Rambert, du site Click & Boat, plateforme de location de bateaux, confirme que les locations des voiliers par leur propriétaire amortissent une partie des coûts d’usage. L’aspect partage s’avère aussi important pour Nicolas le Douarec. « Je préfère que d’autres personnes profitent de mon voilier que de le savoir scotché au port. C’est un petit pas pour limiter la production de bateaux ». Un vrai défi pour la France, qui reste le premier pays producteur au monde de voiliers, mais pour un usage qui pose question ! Un voilier ne sort que quelques jours par an. [Difficile d’afficher une moyenne précise, tant les pratiques sont très hétérogènes]. Mais louer un bateau engage plus que louer une perceuse ou une tondeuse. Naviguer requiert de l’expertise et du savoir-faire. La mer, comme la montagne, reste un milieu naturel potentiellement dangereux. « En posant trois ou quatre questions assez précises, je cerne la capacité des demandeurs et, en parallèle, je demande un CV nautique. Bien sûr, il peut y avoir un peu de casse, c’est inhérent à la voile, mais au final je n’ai jamais eu de vrais soucis ». Des pratiques identiques à celles de Click & Boat, qui demande un CV nautique pour toute location. Selon Nicolas, le seul impératif est la présence d’une personne au départ pour présenter le fonctionnement, les subtilités du bateau, et à l’arrivée pour constater l’état.
La voile pour tous
Après avoir mis en location son précédent bateau sur une plateforme dédiée à la location entre particuliers, Nicolas le Douarec a préféré créer un site où il propose directement son nouveau bateau. « Les plateformes aujourd’hui donnent trop de visibilité aux professionnels. En créant mon site, je retrouve cet état d’esprit de location entre particuliers ». Bastien Rambert confirme – en partie – ces propos. « Sur Click & Boat, 55 % des 2 000 voiliers proposés en France appartiennent à des professionnels de la location ». Mais quand on sait que les algorithmes de ce type de plateforme favorisent la visibilité aux « produits » qui ont les meilleures notes, liées en partie au nombre de sorties, les professionnels sont de fait favorisés. Ces sites internet ont cependant l’avantage de prendre en charge toute la partie administrative, pour une commission de 18 % chez Click & Boat.
Au moment où le nautisme se démocratise en France, avec une augmentation de la pratique de la plaisance toutes catégories confondues, le temps est venu pour la voile de s’inscrire dans cette dynamique du partage. À l’instar de la voiture avec le covoiturage, des appartements avec Airbnb (pour le meilleur et le pire, mais c’est un autre sujet) qui ont trouvé leur rythme de croisière dans cette économie d’usage, la voile doit prendre le cap du concept d’éconavigation. Telle était un peu l’invitation lancée par François Gabart, Francis Joyon, Isabelle Autissier, Roland Jourdain, Jean Galfione, Yann Eliès, Marc Guillemot, Marie Tabarly et une kyrielle d’autres navigateurs dans une tribune publiée dans le journal L’Équipe en 2022 : « Nous pratiquons un sport magnifique, mais il est déraisonnablement polluant et élitiste. L’heure est venue d’investir la créativité, l’énergie et l’engagement dont regorge notre communauté vers sa métamorphose ». À l’abordage !
La location de bateau, un plaisir pour tous @clik and Boat
Pascal GREBOVAL