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L’École du Sens : une pédagogie par projets pour un collège « autrement »

 

  • L’École du sens va ouvrir son « collège Edgar Morin » à la rentrée à Guenrouët (44), près de Redon.
  • Un projet porté depuis 2011 autour de la pédagogie Montessori
  • Objectif : proposer aux 12 – 15 ans une pédagogie centrée sur des projets concrets

Comment réinventer le collège en lieu d’apprentissages par projets ? C’est l’ambition de l’École du Sens, une association qui inscrit sa démarche dans le droit fil de la pédagogie Montessori, qui privilégie l’autonomie et l’expérimentation. Le collège Edgar Morin devrait voir le jour à la rentrée prochaine à Guenrouët, près de Redon. Des portes ouvertes ont lieu le 19 et le 26 avril. Explications.

Immense ambition

Inventer le collège du 21e siècle, sur des bases radicalement nouvelles. À l’heure où la réforme du « choc des savoirs » souhaitée par le gouvernement se heurte à une vive opposition dans les collèges publics, la démarche prônée par l’École du Sens interpelle. D’autant que son ambition parait immense, à en croire l’un de ses promoteurs, le sociologue des religions Olivier Bobineau : « Nous avons trois envies. La première est pédagogique, avec l’envie de prolonger l’école Montessori jusqu’au collège. Nous avions d’ailleurs lancé l’idée d’un « Campus Montessori » dès 2011. La deuxième envie est d’ordre philosophique : nous voulons permettre aux enfants d’être acteurs de leurs apprentissages et de les aider à gérer leurs émotions volcaniques à l’âge de l’adolescence. Or le système pédagogique actuel ne répond pas à cette question essentielle de la gestion des émotions. Enfin, la troisième envie est politique : pour changer le monde, il faut changer la pensée. Alors oui, ce projet est un projet de civilisation ! », lance cet intellectuel prolifique, qui vit à Rennes.

Olivier Bobineau, sociologue et chercheur, l'inspirateur du collège Edgar Morin (©Ecole du Sens)

Un collège dans un gite de vacances

C’est sur ces bases qu’est née l’association École du Sens, portée au départ par Olivier et sa compagne Estelle Auguin, vite rejoints par une équipe de passionnés de pédagogie. La médiatrice et facilitatrice rennaise Léonie Zago est arrivée en 2019 dans l’aventure. Elle en est désormais la présidente. « Nous avons posé la vision, j’ai apprécié l’écosystème de recherche qui entoure le projet. Au départ, l’ampleur de la proposition pouvait faire un peu peur, mais nous avons choisi de travailler sur des projets d’applications concrets, à taille humaine », explique-t-elle.

Cette dimension concrète se retrouve pleinement dans le projet du collège Edgar-Morin qui devrait ouvrir ses portes à la rentrée prochaine à Guenrouët, petite commune de Loire-Atlantique à une vingtaine de kilomètres au sud de Redon. C’est un espace atypique, un gite de vacances en bordure de forêt, que découvriront les participants aux deux journées portes ouvertes organisées ce vendredi 19 avril et le suivant, le 26 avril. Un lieu qui devrait accueillir à la rentrée prochaine une vingtaine de jeunes de 12 à 15 ans, en internat du lundi au vendredi, dans un cadre très connecté à la nature.

Le collège développera une pédagogie fondée sur l’autonomie et la coopération, en lien étroit avec la nature toute proche (©Ecole du Sens)

« Nous proposons une pédagogie par projets, autour d’un thème choisi par les jeunes, un projet concret. Cela nous permet de tirer le fil des apprentissages pédagogiques »

Estelle Auguin, cofondatrice de l’École du Sens

Favoriser la transmission des connaissances par les pairs

« L’enseignement est d’abord une méthodologie. Nous proposons une pédagogie par projets, autour d’un thème choisi par les jeunes, un projet concret. Cela nous permet de tirer le fil des apprentissages pédagogiques », explique Estelle Auguin. Un exemple ? Lors de ces journées portes ouvertes, l’expérience de la fabrication du gâteau nantais est ainsi proposée pour mieux saisir la logique pédagogique. Une simple recette de cuisine, pour peu qu’on y soit attentif, permet en effet d’aborder dans un même mouvement la question des volumes, des proportions (voilà pour le chapitre mathématiques), mais aussi l’histoire (de Nantes), la géographie des échanges de matières premières, l’économie… c’est-à-dire, finalement, l’ensemble des disciplines du programme.

 « Toutes les études le montrent : à l’adolescence, c’est la vie avec les pairs qui favorise la transmission des connaissances. Nous souhaitons former un groupe d’apprentissage inter-niveaux entre 12 et 15 ans et notre projet, à Guenrouët, est fondé sur le principe du collège-internat pour accompagner cette vie sociale », précise Olivier Bobineau, en ajoutant qu’il s’agit d’ « une pédagogie de la résonance, au sens du philosophe allemand Harmut Rosa », l’auteur de Résonance. Une sociologie de la relation au monde (2018, La Découverte).

Logique de recherche-action 

Comme toute école privée hors contrat, l’École du sens ne pourra pas obtenir de financement public, mais sera évidemment contrôlée par l’Education nationale. Elle fonctionnera avec un budget de 220.000 euros par an, et le coût annuel de la scolarité est estimé à 11.000 euros (internat compris). Un montant significatif, reconnaissent les porteurs du projet, mais à mettre toutefois en perspective avec le coût officiel d’un élève de collège, estimé à près de 9.000 euros par l’Éducation nationale. « Comme l’exige la loi, notre future directrice dispose d’une longue expérience dans l’enseignement. Et nous solliciterons des intervenants extérieurs pour ouvrir les jeunes au monde, notamment par des conférences, du théâtre… », détaille Estelle.

Surtout, cette initiative s’inscrit résolument dans une logique de recherche-action. Elle sera d’ailleurs documentée, sur un plan théorique, à travers plusieurs ouvrages en préparation par Olivier Bobineau, à paraître aux Presses Universitaires de Rennes. « Mission impossible : l’école méritocratique », paraitra en septembre 2024, suivi « Vivre la laïcité à l’école », d’Olivier Bobineau et Philippe Portier, et enfin « Mission possible, l’école créatrice, autonome et coopérative ».

CAC 3: l’école créatrice, autonome et coopérative

« C’est le CAC3, une alternative au CAC40 ! sourit Olivier, en détaillant ce « triptyque fécond » : la créativité est à l’opposé de la hiérarchie, l’autonomie est l’inverse de l’hétéronomie qui caractérise le modèle enseignant (c’est-à-dire le fait qu’un être vive selon des règles qui lui sont imposées, selon une « loi » subie). Enfin, la coopération est le contraire de la méritocratie.

L’initiative fera-t-elle école plus largement ? Déjà, dans l’Yonne, un collège s’inspire de l’École du Sens, grâce au soutien décisif du recteur d’Académie de Dijon, Pierre N’Gahane, personnellement convaincu du bien-fondé de la démarche. Quant à Edgar Morin, 102 ans, il a tenu à apporter son soutien au projet en acceptant de donner son nom à l’école de Guenrouët, qui s’inscrit dans le droit fil de ses travaux sur la « pensée complexe ». Un parrainage qui résume à lui seul l’ambition de la proposition.

Xavier DEBONTRIDE

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