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Décarbonation des entreprises : mesurer pour mieux agir
- Le Club ETI Bretagne partage l’expérience de ses membres
- La mesure de l’impact est indispensable pour provoquer des changements
- L’implication des salariés passe par la formation
- Le financement tient compte de l’impact extra-financier des activités
Comment décarboner une activité industrielle ? D’abord en mesurant son impact, avec une approche solide. Mais comme le soulignent les membres du Club ETI Bretagne, qui réunit des entreprises de taille intermédiaire dans différents secteurs d’activité, la démarche doit être largement partagée en interne pour pouvoir être efficace.
Entreprises de taille idéale
Décarbonation : c’est le mot à la mode en ce moment dans les entreprises. Comment concilier développement de l’activité et réduction de l’empreinte environnementale ? Cette question constitue d’ailleurs le fil rouge de l’année du Club ETI Bretagne, rappelle sa présidente Caroline Hilliet Le Branchu, dirigeante de la conserverie familiale La belle-îloise, fondée en 1932 par son grand-père à Quiberon. Les ETI, ce sont les entreprises de taille intermédiaire (ou de taille idéale, selon l’expression bien trouvée d’Hugues Meili, le fondateur du groupe de services numériques Niji !).
Pour appartenir à cette catégorie, il faut employer entre 250 et 4 999 salariés, et afficher un chiffre d’affaires n’excédant pas 1,5 milliard d’euros ou un total de bilan n’excédant pas 2 milliards d’euros. Toutefois, selon l’Insee, une entreprise de moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires et plus de 43 millions d’euros de total de bilan est aussi considérée comme une ETI.
En Bretagne, cette catégorie, qui s’inscrit donc entre les PME et les grands groupes, compte près de 1250 entreprises et plus de 175.000 emplois. 57 d’entre elles adhèrent au Club ETI Bretagne, créé en 2022.
« Les ETI sont le fer de lance de la transition énergétique », rappelle Gérard Messanvi, le délégué général adjoint du Mouvement des ETI (METI) en charge de la coordination nationale des clubs, qui était présent à l’AG du Club ETI Bretagne à Rennes le mois dernier.
Trouver les bons indicateurs
Pour ces entrepreneurs, souvent à la tête d’entreprises familiales en croissance, pas de doute : la décarbonation est à la fois une obligation et une opportunité. Et la transformation environnementale passe par la mesure. Deux tiers des ETI françaises souhaitent en effet réaliser un bilan carbone et 75% d’entre elles ont inclus des critères environnementaux dans leurs politiques d’achat, d’après les chiffres du METI.
Encore faut-il trouver les bons indicateurs pour mesurer cette performance extra-financière qui ne tient plus seulement compte de la croissance du chiffre d’affaires, mais dépend désormais de son impact environnemental. Pour sa part, la Belle-Iloise a obtenu en 2022 le label Enseigne responsable (aligné sur les Objectifs de développement durable de l’ONU et la norme ISO 26000). « C’est un label exigeant, nous sommes obligés de compenser nos émissions de carbone. Cela nous permet d’adresser des sujets nouveaux. Nous acceptons de réduire nos marges pour investir pour l’avenir, c’est aussi le sens de notre engagement en tant qu’entreprise à mission », confiait Caroline Hilliet Le Branchu lors de l’assemblée générale du Club ETI Bretagne.
« Nous avons voulu avoir un impact positif et mesurer l’engagement de nos collaborateurs. La RSE est désormais la colonne vertébrale de notre stratégie. Et si on veut éviter le greenwashing, il faut embarquer les équipes en interne.»
Sébastien Bossard, président de Kersia Group
Indispensable formation
Comme elle, ils sont nombreux à se lancer dans l’aventure avec le sentiment de tout devoir apprendre. La formation, alors, est primordiale. Sébastien Bossard, le président de Kersia Group, peut en témoigner. Ce groupe basé à Dinard est un spécialiste de la sécurité des aliments, il est présent dans 40 pays et emploie 2000 salariés. « Nous avons voulu avoir un impact positif et mesurer l’engagement de nos collaborateurs. La RSE est désormais la colonne vertébrale de notre stratégie. Et si on veut éviter le greenwashing, il faut embarquer les équipes en interne. Nous avons des relais dans tous les métiers. Il faut organiser des événements. La communication est nécessaire pour que ce soit concret, y compris en interne », détaille le dirigeant de cette ETI (anciennement Hypred à Dinard) issue du groupe Roullier. Pour y parvenir, Kersia forme ce qu’il appelle des « Change makers », avec le soutien de l’ONG Ashoka. « Nous voulons embarquer 10 à 15% de nos collaborateurs chaque année, dans le cadre d’une formation de 8 mois. Cette communauté de salariés doit être le miroir de la gouvernance du comité exécutif du groupe », souligne Sébastien Bossard.
Prêts bonifiés à impact
Et la finance, dans tout cela ? Le fléchage des financements occupe une place déterminante dans la transformation des entreprises. « Au Crédit Mutuel Arkéa, nous avons un objectif de 50% de nos financements axés sur les transitions. En 2023, nous étions à 43% », précise Anne Le Goff, directrice générale adjointe du groupe financier dont le siège est à Brest. Nous avons écrit notre raison d’être dès 2019, Arkéa est entreprise à mission depuis 2022, ce qui nous confère une forme de crédibilité dans cette démarche ». Encore faut-il, là aussi, changer les perceptions de l’intérieur. « Il s’agit de changer les postures. Désormais, un conseiller financier doit être présent sur les deux dimensions, financière et extra-financière, avec le souci de la mesure, et du double regard sur l’activité », souligne la dirigeante, en rappelant que la banque a accordé plus de 120 millions d’euros de prêt à impact, bonifiés en fonction des engagements de l’entreprise cliente en matière de RSE. Dans la même logique, un prêt pacte carbone (c’est son nom) est en cours de lancement chez Arkéa pour aider à la décarbonation, une démarche qui souvent coûte de l’argent à l’entreprise, sans retour immédiat sur investissement.
Investissements coûteux
Clément Quéguiner, président du groupe de matériaux éponyme, peut en attester. Présent depuis des décennies sur le terrain des matériaux gourmands en énergie, le Groupe Quéguiner s’apprête à inaugurer une usine de béton bas carbone à Saint-Méen le Grand, en Ille-et Vilaine, moyennant un investissement de 15 millions d’euros. À la clé, de nouveaux procédés de production plus sobres et moins émetteurs de CO2. Une nécessité, pour le dirigeant du groupe familial, pour répondre aux enjeux de la construction de demain.
Quant à Olivier Clanchin, le président du groupe agroalimentaire Olga (ex-Triballat Noyal), il souligne que sur les 1.350 salariés de l’entreprise, 400 collaborateurs sont impliqués dans la démarche de transition. « Dans le cadre de notre vision 2035, nous voulons que 100% de nos matières premières soient issues de l’agroécologie. Nous en sommes actuellement à 80%. Je pense que l’action collective peut permettre d’avancer et j’entends beaucoup de souhaits de coopération, une prise de conscience pour faire bouger les lignes. Mon attente, c’est que tous ces référentiels demain soient identiques pour les professionnels », explique-t-il, en revendiquant lui aussi une « politique des petits pas » qui fasse évoluer le modèle économique de l’intérieur.
Diagnostics ciblés
C’est dans ce contexte que la banque publique d’investissement Bpifrance inscrit son action, en plaçant le financement des transitions au cœur de son activité. « Nous sommes la banque du climat, résume Tanguy Roudaut, son directeur régional. En 2023, 108 entreprises bretonnes ont bénéficié du diagnostic décarbonation et 34 du diagnostic éco-flux, afin de mieux connaitre leur empreinte environnementale. Ces diagnostics ont entrainé des transformations concrètes dans les entreprises », souligne-t-il, en rappelant qu’en Bretagne, BpiFrance a accompagné 4063 entreprises bretonnes en 2023, pour 2,5 milliards d’euros de financements mobilisés. Des entreprises de toute taille, mais qui visiblement, sont de plus en plus soucieuses de leur empreinte environnementale.
Xavier DEBONTRIDE