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« Le modèle économique breton sera fragilisé par le dérèglement climatique »
- Yannick Roudaut est perspectiviste en économie soutenable et il co-dirige les Éditions La Mer Salée et Alternité
- Il intervient le 18 juin à Quimper à l’Open des Transitions
- Dans cette interview accordée à MAPInfo, il partage sa vision et souligne des pistes d’action
Éditeur engagé, perspectiviste et conférencier, le Nantais Yannick Roudaut questionne depuis 20 ans nos modèles économiques pour tracer de nouveaux chemins plus soutenables. Il revient ici sur ses convictions, ses observations et ses espoirs. Un entretien positif.
Vous intervenez à l’Open de la transition écologique et énergétique le 18 juin à Quimper sur le thème de la résilience et la relocalisation. Pourquoi ce choix ?
Yannick ROUDAUT – Nous avons discuté avec les organisateurs de cette rencontre et je leur ai suggéré d’aborder cette question à l’heure où les aléas écologiques, sociétaux et économiques vont inévitablement perturber le fonctionnement des échanges internationaux. La Bretagne n’échappe pas à ces phénomènes. Je pense par exemple aux tensions sur les matières premières et les ressources naturelles, aux conséquences du réchauffement climatique sur l’agriculture, aux chaines d’approvisionnement fragilisées par les conflits dans de nombreuses régions du monde… Face à ce qui advient de manière inéluctable, la question est donc de savoir quelle est notre capacité de résilience pour se transformer sans subir.
Sur le programme, le mot re[low]calisation s’écrit de cette manière. Que voulez-vous dire par là ?
Cette formulation fait écho au local, évidemment mais c’est aussi une référence à la nécessaire transition bas carbone (low carbon). C’est aussi un clin d’œil au ralentissement nécessaire -le slow -, pour passer d’une économie de la performance et de la productivité sans limites, à une économie plus qualitative que quantitative qui intègre le temps long et redéfinit la place du travail dans notre société.
Quels messages clés allez-vous partager ?
Je souhaite que les participants prennent conscience de la fragilité du modèle breton face aux conséquences du changement climatique rapide. L’économie bretonne s’est rendue progressivement très dépendante de l’international, de matières importées. L’exportation de produits agroalimentaire et l’importation de soja brésilien pour l’élevage aviaire et porcin, représentent une part importante des échanges commerciaux. Où est l’autonomie ?
Autre point d’attention : celui de la main d’œuvre. La flambée des prix de l’immobilier dans de nombreuses villes bretonnes rend compliquée l’installation des jeunes actifs qui peinent à se loger près de leur travail. C’est un vrai défi, à la fois pour les entreprises, qui peinent à recruter, et pour les collectivités, qui doivent réussir à loger toutes les catégories sociales, et principalement les plus modestes. Cela a également un impact sur les mobilités et les solutions proposées.
Quel regard portez-vous sur l’évolution de l’engagement des chefs d’entreprise que vous rencontrez lors de vos nombreuses interventions ?
Je suis expert APM (Association pour le Progrès du Management) et en vingt ans, j’ai réalisé plus de 330 conférences en France et en Europe. J’interviens aussi régulièrement auprès du réseau Germe pour les managers, du Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), de l’association Dirigeants Responsables… Je constate une réelle prise de conscience écologique depuis environ cinq ans. C’est une bonne chose, mais l’engagement de certaines entreprises se limite encore trop souvent à la réalisation d’un bilan carbone, ce qui est nettement insuffisant. Il est certes indispensable mais il ne fournit aucune réponse aux questions centrales de la biodiversité, de l’impact sociétal des activités productives, etc.
Pour bâtir une économie robuste et soutenable, il faut absolument concilier le triptyque « impact écologique, sociétal et économique » et en faire la pierre angulaire de la stratégie de l’entreprise. Trop d’entreprises adoptent encore une approche en silo, ce qui ne permet pas de traiter le problème dans sa globalité, et cela alimente les pratiques de greenwashing et de socialwashing. La transversalité est essentielle.
La preuve de l’engagement, c’est parfois le renoncement. Il faut avoir le courage de se remettre en question en arrêtant certaines pratiques ou certaines productions qui ne sont plus compatibles avec les enjeux d’habitabilité de nos régions à long terme. Je suis conscient que ce n’est pas simple de transformer une entreprise, un territoire. Il va donc falloir innover, et pas seulement dans le seul champ de la technologie !
« Pour bâtir une économie robuste et soutenable il faut absolument concilier le triptyque « impact écologique, sociétal et économique » et en en faire la pierre angulaire de la stratégie de l’entreprise »
Yannick ROUDAUT
On parle désormais de post-croissance : que recouvre cette idée et comment l’aborder concrètement ?
Lorsqu’on parle de croissance, de quoi parle-t-on vraiment ? Le plus souvent, de celle du Produit Intérieur Brut du pays. Mais il faut d’emblée rappeler que le PIB est un outil de mesure obsolète, conçu il y a près de cent ans après la crise de 1929 aux Etats-Unis, et qui ne prend aucunement en compte les nouveaux enjeux dont je parlais au début de cet entretien. Le PIB peut augmenter à la faveur d’activités qui sont en totale contradiction avec les impératifs écologiques ou sociétaux actuels : la hausse de la consommation des énergies fossiles, l’accroissement de la production de produits jetables non recyclables font mécaniquement progresser cet indicateur. Parler de post-croissance, c’est imaginer une autre économie, plus frugale, sans doute, mais on sait bien que ce n’est pas l’hyper-consommation qui rend les gens heureux ! La post-croissance c’est la promotion du « do it yourself » (DIY), des basses technologies (low tech), de l’économie circulaire, de la sobriété énergétique, de la relocation de nos besoins alimentaires… D’autres activités vont émerger, mais il faudra les mesurer et les valoriser à l’aune du bien commun.
Quelles initiatives concrètes avez-vous observé récemment ?
De nombreuses PME et ETI bretonnes sont déjà engagées dans des transformations qui les conduisent à innover. J’en parlerai mardi. Je vais donc volontairement vous donner un exemple qui n’est pas breton. Connaissez-vous Qarnot Computing ? Cette entreprise francilienne réalise des calculateurs informatiques, très gourmands en énergie et qui dégagent beaucoup de chaleur. Ses dirigeants ont eu l’idée d’installer ces calculateurs sous forme de radiateurs dans des logements sociaux ou sous forme de chaudière collective en sous-sol. C’est vertueux et ça fonctionne ! Qarnot économise du foncier, de l’énergie car les serveurs n’ont plus besoin d’être refroidis, et a divisé par quatre son coût de revient ! Elle a donc un impact social, environnemental et économique. Cette innovation correspond bien au triptyque dont je parlais tout à l’heure : c’est une réponse concrète aux enjeux d’un numérique plus sobre, plus social, et rentable. Clairement, dans cet exemple, la contrainte écologique a agi comme un déclencheur d’innovation. À cet égard, les territoires peuvent être de formidables terrains d’expérimentation.
Justement, ces fameux « territoires », on en parle souvent comme la solution pour tout. Quel est votre regard sur cette question, sans angélisme ?
Il ne faut pas être naïf, bien sûr ! Mais il est intéressant de regarder la nature et son fonctionnement. Dans un écosystème – un terme que l’on associe souvent à celui de territoire dans les discours -, chaque représentant du vivant est utile. Les « mauvaises herbes » n’existent pas ! Un écosystème est poly-cellulaire. Chaque cellule, chaque acteur qui le compose est autonome dans son fonctionnement et interdépendant du tout. Chacun contribue à l’écosystème car c’est son intérêt bien compris.
Dernière question : dans le contexte politique actuel, quelle est votre boussole pour un développement soutenable ?
Je suis convaincu que ce qui est en train de se passer en Europe et en France, ce retour de l’obscurité, est un marqueur puissant d’un changement de monde. Comme le disait l’intellectuel italien Antonio Gramsci, c’est dans ce clair-obscur, dans cet entre deux mondes que surgissent les monstres. Nous y sommes. Il faut continuer à alimenter notre lumière pour traverser cette obscurité, mais à moyen terme, croyez-moi, un nouveau monde apparaîtra eu égard aux contraintes environnementales, économiques et sociétales qui se profilent. Il est déjà en marche. Et c’est passionnant !
Propos recueillis par Xavier DEBONTRIDE