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Crise du logement : pour Jean Ollivro, la clé réside dans la décentralisation

Jean Ollivro est géographe et président du Think tank breton Bretagne Prospective.

 

  • Jean Ollivro est géographe et président du Think tank Bretagne Prospective
 
  • il plaide pour une décentralisation des politiques publiques au niveau de l’aménagement du territoire
 
  • Car l’enjeu est de taille : répondre à une crise du logement inédite, en limitant l’artificialisation des terres

 

 

La Bretagne, comme de nombreuses régions françaises, fait face à un défi majeur, celui de la crise du logement. Attractive, elle accueille près 20 000 habitants de plus chaque année. Pour loger cette population, en limitant l’artificialisation des espaces naturels, les forces politiques, associations, bailleurs sociaux et acteurs locaux tentent de trouver des solutions. Ces solutions doivent puiser leur essence dans les spécificités du territoire, dans une logique de décentralisation, d’après le géographe et président du Think tank Bretagne Prospective qui s’en explique à MAPInfo

Pouvez-vous nous dresser un panorama de l’état du logement en Bretagne ? 

La Bretagne, comme d’autres régions de France, traverse une crise du logement inédite et brutale. Nous n’avons pas connu de difficultés de cette ampleur dans le passé, si ce n’est au lendemain de la seconde guerre mondiale. 

Paradoxalement, cela est dû à son attractivité. Aujourd’hui la région compte 4,9 millions d’habitants (NDLR: au sens de la Bretagne historique, avec la Loire-Atlantique) et plus de 20 000 nouveaux résidents s’installent chaque année en Bretagne. Nous serons 400 000 habitants de plus d’ici 2040. Cette attractivité permanente créé des tensions sur l’accès aux logements, intensifiées par l’attractivité temporaire liée au tourisme, avec des pics de fréquentation notamment l’été. À titre d’exemple, la Bretagne comptait 813 Airbnb en 2013, contre plus de 35 000 aujourd’hui. Cette attractivité occasionne une augmentation des prix du foncier, notamment sur les côtes avec des prix parfois aberrants. 

Jean Ollivro s'est confié sur sa vision de l'aménagement du territoire breton lors d'un évènement organisé pour le centenaire de la Coopérative immobilière de Bretagne.

Dans le même temps, l’espace disponible se réduit avec l’élévation du niveau de la mer (notamment dans le marais de la Brière). La Bretagne pourrait perdre 2 à 3 % de sa superficie d’ici à 2060. Parallèlement, le contexte socio-politique évolue aussi : la taille des ménages se réduit avec un vieillissement de la population. Et les règles d’urbanismes changent, avec l’adoption du ZAN (zéro artificialisation nette d’ici 2050) qui doit limiter l’étalement urbain.

Que pensez-vous justement de cette loi de Zéro artificialisation nette (ZAN) ? 

18 000 hectares de terres ont été artificialisées entre 2011 et 2021 et il faudrait réduire ce chiffre de moitié dans la prochaine décennie. Mais les exigences ne sont pas les mêmes partout à l’échelle du territoire, ce qui peut avoir tendance à en pénaliser certains par la loi. On est toujours dans ce prisme selon lequel la grande métropole serait forcément l’avenir, ce qui n’est pas toujours le cas.

Comment cette situation de crise du logement va évoluer selon vous ? 

Ce qu’il faut noter, c’est que cette situation est certes inédite, mais aussi temporaire. Les 20, 30 prochaines années seront problématiques, avec un pic, mais il ne s’agit pas de construire n’importe comment, n’importe où car la démographie finira par baisser. Il ne faudrait surtout pas reproduire les projets de certaines zones commerciales bâties un peu n’importe comment il y a quelques années. Il faudra tenir compte des poumons verts, de leur rôle écologique. 

« La clef pour concevoir l’aménagement du territoire, réside dans la décentralisation des politiques publiques en matière de logement, or aujourd’hui on fait la même chose partout »

Jean Ollivro, géographe 

Quelles sont les spécificités territoriales de la Bretagne  ? Comment peut-on les prendre en compte pour concevoir l’aménagement du territoire ? 

La première spécificité, c’est qu’il n’y a pas une opposition entre ville et campagne. En Bretagne, on peut difficilement déceler où commence la ville et où commence la campagne. On trouve des petits bourgs ou des hameaux tous les kilomètres, ce qui n’est pas le cas de la Beauce, ou d’autres régions. La Bretagne est l’héritage d’une société très décentrée. Il faut prendre ce maillage territorial comme une aubaine.

La clef pour concevoir l’aménagement du territoire, réside dans la décentralisation des politiques publiques en matière de logement. Et ce, à l’intérieur même des départements. Il faut adapter les constructions au territoire dans lequel elles s’insèrent. On ne peut pas faire les mêmes choses partout, or le problème c’est qu’aujourd’hui les politiques publiques en matière de logement sont identiques.

Pour répondre à ce défi, quels scénarios peuvent être envisagés ? 

Lorsque l’on se projette dans l’aménagement du territoire sur les vingt ou trente prochaines années, quatre scénarios sont possibles et il faut mener une réflexion combinée entre ces quatres scénarios. 

Quels sont-ils ? 

Le premier est celui de la métropolisation, le fait de vouloir densifier les espaces urbains et la verticalité. C’est celui qui est privilégié par les décideurs pour l’instant. Or, il ne faut pas oublier qu’une métropole produit 0 % de son énergie, 0 % de ses besoins alimentaires. 

Le deuxième est celui de l’existence de petites et moyennes villes. La troisième option est celle de la totale dispersion. Il s’agirait de disperser les logements à parts égales sur l’ensemble du territoire. Cela implique que les habitants veuillent de ce mode de vie, ce retour à la terre, ce qui n’est pas forcément le cas. 

Enfin, la dernière option consiste à rassembler les espaces par « pays ». Une vision qui n’oppose pas le rural à l’urbain, mais qui tient compte des identités des lieux. 

Ce n’est pas à moi de décider quelles options il faut choisir, je pense qu’il faut faire un mélange. Ce qui est certain, c’est que si on ne renoue pas le lien entre les gens et leur lieu de vie, il ne pourra pas y avoir de dynamique de projets. Il faut donc revenir aux besoins primaires et se demander quel projet de société nous souhaitons ? La stratégie à adopter en Bretagne ne sera pas la même que la Beauce, qu’en Occitanie ou ailleurs. 

Quelles peuvent être les autres solutions ? 

On remarque qu’il y a 100 000 demandes de logements sociaux non pourvus en Bretagne mais 8 % de logements vacants. Il faut donc mener une réflexion sur les besoins qui émanent du terrain et sur les adaptations architecturales à envisager. En réponse, des solutions d’habitats alternatifs comme les résidences intergénérationnelles ou les habitats légers, peuvent être développés, même si ces modes se heurtent à des difficultés juridiques. 

Ensuite, des matériaux locaux pour la construction peuvent être parfois redécouverts pour la construction, comme la bauge par exemple autour de Rennes. Relisez notre reportage sur le sujet

Propos recueillis par Adèle CHARRIER

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